mamie Jo était dotée d’un esprit vif
elle avait l’oeil éclatant et la langue bien pendue
mamie Jo avait l’expérience de l’âge et l’espièglerie d’une éternelle jeunesse
elle était pleine de ressource et de sagesse
et elle faisait rire les enfants
mamie Jo avait du mal à marcher et les os fatigués
elle ne pouvait plus faire son métier
et le fumet de ses ragouts appartient maintenant
au passé

au détour d’une calme nuit
beaucoup ont pleuré mamie Jo
déposé quelque fleur à son chevet
et prié pour qu’elle retourne sauve à la nature
pour que s’ouvre un nouveau chemin
à son âme charmante
Adim n’est nulle exception
— c’est qu’elle l’a vu.e grandir
elle l’a vu.e tomber et se relever
elle l’a souvent trouvé.e parmi les fleurs
et lui a souvent chanté des berceuses
alors Adim a pleuré mamie Jo
et pour une fois iel a souhaité participer à l’embaumement

il y a beaucoup de bouquets dans la maison
des roses des anémones et un ou deux camélias
la pièce est colorée comme l’était l’âme de la défunte
remplie de vie, à son image
dernier souvenir d’une vie paisible
la tristesse a frappé et puis s’est fatiguée toute seule
elle a laissé place à un calme étrange
et à l’envie de bien faire le travail
c’est comme ça

aujourd’hui iels ne sont que deux
d’autres devoirs occupent les gens
et chacun.e s’accomplit avec ardeur
Marnie a laissé ses moutons à d’autres
Adim a dit aux plantes qu’iel reviendrait
et les voilà chargé.es du corps,
d’une mission nouvelle
c’est étonnant comme elle semble différente
c’est mamie Jo sans l’être
ce sont ses bras ses cheveux ses lèvres
éteints
exempts des étincelles de son esprit
blancs
et Adim peine à la reconnaître
mais peut-être est-ce ce qu’il faut
à qui va enterrer ses proches

Adim s’égare en pensées délétères
laissant mécaniquement ses mains blanches
arranger les derniers bouquets,
silencieusement
iel comme beaucoup d’autres ont apporté des fleurs
douces vives parfumées
une palette à l’image de mamie Jo
oranges, rouges, blanches
et un beau lys est posé sur sa tempe
touche finale d’un triste mais calme tableau
elle est prête — ne l’a-t-elle pas toujours été ?
elle sera un exemple — elle l’a toujours été
c’est vrai
son visage est paisible
mais il manque quelque chose
elle était lumineuse
énergique chatoyante doucement épicée
elle est éteinte maintenant
mais — Marnie a raison
elle s’est éteinte comme elle vivait
d’un souffle délicat
toujours présent
difficilement dispensable
et s’en déchirer
force à grandir

hmm iel acquiesce pensivement
c’est une question que je me pose aussi
certainement trop souvent
et c’est peut-être là le sort
des coeurs meurtris par trop de deuils
hantés par trop de joie passée
et incapables d’oublier
mais que devient cette matière lorsque l’on meurt ? penses-tu qu’elle disparaît ?
l’inconnu laisse place à tous les possibles
aux départs aux spectres aux transformations
et iel se plaît à penser
que l’esprit des mort.e.s n’est jamais loin
et que Rune est gardée par des légions de bienveillants fantômes
j’aime me dire qu’il reste quelque chose, après. et que peut-être, ce quelque chose éteint à nos yeux s’est allumé à d’autres et que peut-être un jour nous le verrons aussi
vivant.e.s ou mort.e.s
peu lui importe
et veille sur nous

ah ce sont certainement des illusions
de bienheureux épouvantails qui chassent la solitude
des compagnons intimes et silencieux
mais les fantômes rassurent Adim
et l’accompagnent au fond de la déprime
là où aucun.e vivant.e hélas
ne saurait s’inviter

mais le spectre encore frais de mamie Jo
ne peut déjà chasser
les tièdes larmes d’une dernière remarque
paisibles elles roulent sans bruit
le long de joues déjà humides
— elles ne lui font pas de mal
peut-être viennent-elles apaiser la douleur d’hier
et doucement fermer cette plaie
alors
iel ne les chasse pas
oui. mais sa présence reste dans nos souvenirs. elle est encore là, d’une certaine façon.
elle et les autres
les parents les grands-parents les frères les soeurs et les amant.e.s
les disparu.e.s
toujours existeront un tant soit peu
tant que leur souvenir persiste

ah
Adim s’essuie la joue
avant de penser trop fort à
lui

les paniers sont prêts
il n’y a maintenant qu’à déplacer le tout
et allumer un doux brasier
pour dire au revoir avec chaleur
allons-y.