Le coin de la forge où Céleste travaillait normalement était plutôt silencieux, ce matin-là. Le métal n’était pas au feu et le coin était même plutôt rangé ; les surfaces de travail étaient bien propres, le tablier noir que la forgeronne portait normalement était plié et posé sur un coin de son établi. Pas un outil ne traînait dans le coin et c’était chose bien rare.

L’humeur massacrante de la jeune femme était peut-être un peu plus intense qu’elle ne l’était à l’habitude, certainement raison pour laquelle ses épais sourcils noirs étaient bien froncés. D’une démarche lourde mais déterminée, elle se dirigeait là où elle avait laissé ses outils, la veille ; sur l’établi de Clem, nettement alignés et prêts à être réparés, avec une petite note laissant supposer qu’elle en avait besoin urgemment.

Évidemment, la forgeronne s’était attendue à ce que la situation se conclue ainsi ; qu’elle ait à se pointer devant Clem afin de bien lui faire comprendre qu’elle avait besoin de ses outils maintenant et pas demain.

Alors, elle avait laissé en plan les autres qui travaillaient dans la forge, afin d’aller se planter devant l’établi de la réparatrice, qu’elle fixait intensément, les bras croisés et toute silencieuse. On aurait presque pu dire qu’elle s’imaginait lui mettre une baffe derrière la tête.

« Tu m’expliques pourquoi mes outils sont encore sur ton établi, exactement comme je te les ai laissés hier ? »

Son ton était rude, quelque peu froid, teinté d’une impatience à peine cachée. Céleste avait toujours eu de la difficulté à la côtoyer, celle-là, plus que quiconque résidant à Rune. Trop d’énergie, trop imprévisible. Pourtant, la seule chose qu’elle savait prévoir, c’était qu’elle mettait toujours trois plombes et une semaine avant de lui réparer ses outils, lorsqu’ils brisaient. Et bien qu’elle aurait aimé faire affaire avec un autre réparateur, disons qu’avec son caractère de cochon et ses attentes peut-être un peu trop élevées, elle préférait ne pas risquer la chose. De toute façon, bien qu’elle ait ses défauts, de tous les réparateurs du village, la forgeronne considérait que Clem était celle qui lui réparait le mieux ses outils.

Mais ça ne l’empêchait pas de bien montrer qu’elle avait de la difficulté à l’apprécier.

« Tu veux que je fasse quoi avec un marteau brisé ? Je peux certainement pas travailler. »

Et elle tirait la tronche, comme d’habitude. Parce que la situation ne l’amusait pas du tout.